• Le chat bourgeois

     Le chat bourgeois

    Un chat tuait sans vrai désir.

    C'était un chat très riche et il n'avait pas faim

    Il faut bien se distraire enfin :

    Chat bourgeois a tant de loisirs...

    On ne peut pas toujours dormir sur un coussin.

    De souris, il ne mangeait guère ;

    Son pedigree fameux l'ayant mis au dessus

    Des nourritures du vulgaire.

    Son régime était strict. Cet immeuble cossu,

    En outre visité, à des dates périodiques,

    Par les services de la dératisation,

    Gens aux procédés scientifiques,

    Tuant sans joie ni passion,

    Au nom de l'administration,

    De rat, de vrai bon rat, qui fuit et qu'on rattrape

    Négligemment, ne le tuant qu'à petits coups

    Sans tuer son espoir - vrai plaisir de satrape -

    Il n'y en avait plus du tout

    Avec leurs poisons et leurs trappes.

    Restaient quelques moineaux bêtes et citadins,

    Race ingrate

    Qu'on étendait d'un coup de patte :

    Assez misérable fretin.

    Oubliant les rats,

    L'employé du service d'hygiène ne vint pas.

    On l'avait convoqué

    Sur une autre frontière.

    Pour tuer cette fois des hommes. Et la guerre,

    Approchant à grands pas des quartiers élégants,

    Les maîtres de mon chat durent fuir sans les gants,

    En un quart d'heure, sur les routes incertaines.

    Dans l'impérieux souci de sauver leur bedaine

    Ils oublièrent tout, les bonnes et le chat.

    Les bonnes changèrent d'état.

    Loin de Madame, violées par des militaires,

    Elles si réservées, elles se révélèrent

    Putains de beaucoup de talent.

    Leur train de vie devint tout à coup opulent

    Et elles prirent une bonne.

    Après un temps de désarroi,

    Le chat, devenu chat, comprit qu'il était roi ;

    Que la faim est divine et que la lutte est bonne.

    D'un oeil blanc, d'une oreille arrachée aux combats

    Dont il sorti vainqueur contre les autres chats,

    Il paya ses amours royales sous la lune.

    Sans régime et sans soin, ne mangeant que du rat

    Il perdit son poil angora

    Qui ne tenait qu'à sa fortune

    Et auquel il ne tenait pas ;

    Il y gagna la mine altière

    Et l'orgueil des chats de gouttière,

    Et bénit à  jamais la guerre

    Qui offre aux chats maigris des chattes et des rats.


    Jamais ce que l'on vous donne

    Ne vaudra ce que l'on prend

    Avec sa griffe et sa dent.

    La vie ne donne à personne.


    Jean Anouilh

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